Quel lien pourrait-il y avoir entre les chutes de neige et la sécurité nationale ?
Une récente chute de neige d’intensité moyenne (survenue approximativement du 20 au 22 février 2025) a paralysé la circulation et provoqué de graves perturbations dans les transports publics de surface, en particulier dans la capitale de l’Arménie, Erevan. Selon l’Union des assureurs d’Arménie, cette perturbation s’est accompagnée de près d’un millier d’accidents de la circulation, les rues étant restées couvertes de neige.
Alors que de nombreux citoyens se sont amèrement plaints du manque de préparation pour atténuer les conditions liées à la neige, exprimant leur indignation face à l’ineptie du gouvernement – en particulier à la lumière des récentes hausses d’impôts et de l’augmentation des tarifs des bus et du métro – la plupart d’entre eux, y compris le gouvernement, semblent ne pas avoir observé quelque chose d’autre. Les services de renseignement surveillent de près la façon dont leurs adversaires réagissent aux catastrophes naturelles, même à un événement apparemment aussi anodin qu’une tempête de neige. Ces événements fournissent des informations précieuses sur les vulnérabilités, les processus décisionnels et l’affectation des ressources d’un adversaire. Ces informations peuvent être utilisées pour évaluer leurs capacités, prédire leur comportement futur et identifier les opportunités ou les faiblesses potentielles.
Les services de renseignement suivent les organes de presse, les médias sociaux et les déclarations officielles du gouvernement de l’adversaire afin de comprendre la réaction du public à la catastrophe. Les analystes surveillent les plateformes de médias sociaux locaux, les forums et les applications de messagerie pour évaluer le sentiment du public, identifier les lacunes de la réponse et détecter les signes d’agitation civile ou de mécontentement.
Les analystes utilisent des données géospatiales pour évaluer l’étendue des dommages et la comparer aux efforts de réponse de l’adversaire. Ils évaluent également la manière dont les infrastructures critiques de l’adversaire, telles que les réseaux électriques et les réseaux de communication, sont affectées et l’efficacité avec laquelle l’État cible gère la situation. Les services de renseignement analysent la manière dont l’adversaire affecte ses ressources, qu’elles soient financières, militaires, policières ou humanitaires, lors d’une catastrophe, afin d’obtenir des informations sur ses priorités, ses capacités et ses compétences générales en matière de gouvernance.
Plus important encore, les analystes étudient le comportement et la prise de décision des principaux dirigeants pendant les crises afin de comprendre leur pensée stratégique et d’identifier les vulnérabilités potentielles. Le suivi de l’opinion publique peut révéler comment la population perçoit la réponse du gouvernement, ce qui peut conduire à l’instabilité ou offrir des possibilités d’action. En analysant ces facteurs, les services de renseignement peuvent prédire comment un adversaire pourrait agir lors de crises ou de conflits futurs, en identifiant les faiblesses potentielles ou les opportunités à exploiter.
Bien qu’un seul événement puisse sembler anodin, l’accumulation de mauvaises performances est utilisée pour estimer les capacités réelles d’un État. Si l’Arménie donne l’impression de ne pas pouvoir faire face à une chute de neige de taille moyenne, et qu’elle réagit toujours mal ou médiocrement à des tensions sociales périodiques, la partie adverse en tirera parti lors des négociations et dans l’estimation de la capacité de l’Arménie à faire la guerre ou à dissuader les belligérants de la faire. Bien qu’un événement unique – ou même quelques événements – ne puisse pas établir de lien de causalité, il est essentiel de prendre en compte la manière dont de tels incidents sont perçus par les adversaires.
L’une des erreurs les plus flagrantes de l’Arménie a été la réélection du gouvernement actuel en 2021, celui-là même qui a présidé à la défaite lors de la guerre du Karabakh en 2020. Il est rare qu’un gouvernement reste au pouvoir après avoir supervisé la mort de 5 000 jeunes hommes et perdu un territoire important quelques mois auparavant. Ce fait n’a pas échappé aux observateurs et aux analystes. Alors que le gouvernement arménien de Pashinyan célébrait sa victoire électorale, la myopie a indiqué à ses adversaires que l’Arménie pouvait être contrainte à des concessions, à la soumission ou à l’acquiescement. Ce sentiment de résignation est évident dans l’Arménie d’aujourd’hui.
Les autorités arméniennes n’ont jamais réussi à susciter un sentiment d’indignation dans l’Arménie d’après-guerre, par exemple en facilitant les opérations sous fausse bannière, telles que les manifestations violentes dans les rues, qui montrent que les Arméniens sont indignés par une telle perte de vies humaines et de terres ancestrales. Ces opérations pourraient servir d’outils de négociation.
L’Arménie ne peut plus se permettre de commettre des erreurs diplomatiques dans un monde impitoyable et inflexible. Dans un tel environnement, toute vulnérabilité ou faux pas peut être et sera exploité par les adversaires.
Traduit de l’anglais par Jean Dorian, publié sur https://www.tchobanian.org/tribunes-libres/la-neige-en-armenie-et-la-securite-nationale/